Edito – Ce soir c’est Mcdo et Netflix – Laurent Jabiol
Alors que vient à peine de se clôturer la 44ᵉ Cérémonie des Césars, et que nos regards se portent déjà vers la grand-messe du Festival de Cannes, le Cinéma Français n’a décidément de cesse d’affirmer fièrement au monde son identité et sa vigueur.
C’est vrai que la France – fière de sa langue, sûre de son esprit Universaliste, et forte de son modèle Étatiste centralisé – a su forger et préserver dans le temps long le principe même de « l’exception culturelle ». C’est d’ailleurs à l’instigation de la France que l’Union Européenne a entériné dès 1993 l’instauration d’un statut spécial pour les œuvres et la production audiovisuelles, visant notamment à les protéger des règles commerciales du libre-échange.
Certains argueront qu’il n’y avait décidément qu’en France – parce que nous sommes le pays de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen – que l’intervention de l’État pouvait être ainsi mise au cœur de la protection et de la création culturelle sans que jamais personne n’y suspecte ni n’y décèle une possible dérive dictatoriale.
En tous cas, les Français aiment le Cinéma.
Ils l’ont d’ailleurs inventé, quelque part entre Lyon et La Ciotat, et nous disposons toujours du parc de salles obscures le plus important d’Europe, mais aussi de champions de taille mondiale, au premier rang desquels Vivendi et Canal+.
Les Français aiment résolument leur Cinéma, et ils ont raison parce qu’il est de qualité.
Les Français aiment aussi résolument leur cuisine, un véritable marqueur de l’exception culturelle s’il en est. Pourtant, c’est bien en France, le pays de la gastronomie, que l’on trouve le restaurant McDonald’s le plus rentable au monde. Il se situe sur les Champs-Élysées, lieu emblématique de notre pays et de son attractivité qui reste la première destination touristique mondiale.
Alors certes, certains argueront que le champion du Monde des restaurants McDo tient probablement son succès à la profusion de touristes étrangers qui déferlent à ses abords…. Et bien non, pas seulement, car la France est aussi pour McDonald’s le 2ème marché au monde après les États-Unis, et souvent aussi le plus rentable pour les multiples autres enseignes de Fast-Food qui y prospèrent.
Alors quel rapport avec le Cinéma me direz-vous ? Et bien, j’ose faire le parallèle entre les ressorts du succès de McDonald’s et ceux de Netflix.
Dans les deux cas, l’offre est mondialisée autour d’un catalogue de produits formatés pour être universels, et ci et là de quelques déclinaisons locales. Typiquement, le menu McDo est émaillé d’exceptions nationales (sandwichs, boissons ou desserts) en fonction du pays où l’on se rend, mais le Big Mac et les frites restent systématiquement présents sur la carte, et ce toujours avec le même gout et la même grille tarifaire (on parle d’ailleurs en économie de l’indice Big Mac pour comparer le pouvoir d’achat des pays).
Ce n’est que quand une exception locale rencontre un vif succès, qu’elle peut parfois entrer dans le tronc commun. Cette tactique propre aux groupes mondialisés Américains est finalement applicable à celle de Netflix : un positionnement tarifaire et un marketing redoutable conjuguant à la perfection individualisme et famille, un catalogue de contenus cinématographique le plus mondialisé possible, donc par nature essentiellement anglo-saxon pour répondre aux goûts formatés, avec en plus des créations originales et locales qui parfois deviennent des Best Sellers mondiaux (comme Casa de Papel ou Narcos), et d’autres qui peinent à s’exporter (comme Marseille).
Quel chemin parcouru en tous cas depuis l’inauguration du premier McDo Français au début des Années 70. Et que dire de celui de Netflix qui a été lancé dans l’hexagone le 15 Septembre 2014, et qui vient en Février 2019 de passer la barre des 5 millions d’abonnés en France, et ce donc à peine quatre ans et demi après son arrivée.
Mais l’appétit de Netflix est insatiable. S’il est évident que McDonald’s ne recherche pas la reconnaissance des guides gastronomiques, Netflix joue quant à lui désormais dans la cour des très grands. En effet, le service de VOD a rejoint en Janvier 2019 les six grands studios Hollywoodiens au travers du MPAA, à savoir la toute puissante et bientôt centenaire association Américaine de défense des studios d’Hollywood. Netflix y est désormais l’égal de Walt Disney Studios, Warner Bros. Entertainment, Universal City Studios, Paramount Pictures, Sony Pictures Entertainment et la 20th Century Fox.
Avec une telle omniprésence et une telle taille critique, Netflix, à l’instar de McDonald’s, arrive ainsi à croître bien plus vite que tous ses concurrents. Aux États-Unis, Netflix représente désormais 10% de l’audience cumulée de la TV tous supports confondus. Cela leur permet, comme McDonald’s, d’être capable de remonter leurs prix sans craindre la concurrence. Netflix US vient typiquement d’augmenter ses tarifs de 13 à 18% selon les packages sans que cela ne fasse fuir les abonnés. D’ailleurs, des analystes financiers en viennent à écrire que la plus grosse erreur d’Apple aura été de ne pas racheter Netflix l’an passé, pour 100 milliards de dollars, tant qu’il en était encore temps…
Avec tout cela, notre exception culturelle est de plus en plus malmenée.
Sauf que Netflix arrive, et que pour se conformer à la réglementation Européenne, l’ogre Américain entend « soutenir » le Cinéma Européen, et donc naturellement le Cinéma Français puisque nous sommes le deuxième exportateur de films derrières les États-Unis. Mieux, nous sommes aussi et surtout un relai stratégique pour inonder le marché d’avenir qu’est la Francophonie, notamment en Afrique.
Sauf que Netflix dicte ses règles sans dérogation possible, tout comme McDonald’s qui fait produire en France ses pommes de terre et ses salades, mais selon un cahier des charges extrêmement stricts. Pour Netflix, c’est simple : s’ils sont producteurs, ce sont eux seuls, et non plus en accord avec le Réalisateur, qui décident du cahier des charges des films, et de ce qui est montrable ou pas. Au final, certains alertent déjà sur la dangerosité d’une telle dérive qui formate et annihile la créativité des réalisateurs et des acteurs s’ils doivent se soumette à ce type de producteurs qui recherchent par définition une certaine forme d’uniformisation afin de maximiser leurs gains.
Le réalisateur Pierre Jolivet va d’ailleurs plus loin lorsqu’il a déclaré ces jours-ci à l’antenne d’Europe 1 que « quand Netflix aura gagné totalement le marché, ils feront ce qu’ils veulent, c’est un enjeu politique et même un enjeu de civilisation ».
Alors la prochaine fois que vous prévoirez de vous faire en couple, entre amis ou en famille une soirée ciné/resto, vous aurez le choix entre vous commander un Burger livré par une plateforme comme Uber Eats avant de vous taper à la suite toute une saison complète de votre série préférée sur Netflix – façon Fast Food et Binge Viewing – ou alors de profiter du spectacle d’un bon film sur grand-écran, puis d’un menu sur le pouce en terrasse d’une Brasserie typique.
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