[Tribune] L’engagement économique, ultime rideau de fumée de l’impuissance publique
Notre système de représentation traverse une crise profonde. L’accélération des alternances politiques traduit un vote qui n’est plus d’abord un vote d’adhésion ou de rejet d’un projet, mais un vote de confiance, sans cesse déçu, en la capacité de l’élu d’avoir une influence sur les évènements. Le drame du politique contemporain n’est peut-être pas tant ses échecs répétés que la conviction grandissante chez les électeurs qu’au fond, succès ou échec, ceux qui nous dirigent n’y sont pour rien.
L’abstention toujours plus importante est un mur d’indifférence qui s’élève inéluctablement, séparant le peuple de ses représentants. Dépourvu par les traités européens des armes monétaires et budgétaire, démuni de toute marge de manoeuvre fiscale, le gouvernement doit à tout prix donner l’impression qu’il peut quelque chose. La volonté croissante de nos dirigeants d’agir directement dans les entreprises constitue une tentative désespérée de mettre en scène une capacité à peser.
Dans le dossier Alstom, l’immense effort de communication du ministre en charge du dossier ne parviendra pas à cacher que c’est la solution honnie de l’accord avec General Electric qui a finalement été retenue, et que l’entrée au capital de la société par l’Etat sera surtout une façon bien coûteuse d’accomplir un retour des nationalisations bien surprenant pour une économie de marché. Difficile d’oublier aussi que le théâtral décret rendant nécessaire l’accord de l’Etat lors des opérations de prise de contrôle par un groupe étranger d’une entreprise française fera fuir aussi de nombreux investisseurs potentiels qui ne viendront pas créer des emplois en France.
Second dossier pour lequel nos dirigeants prennent fait et cause : la lutte contre les géants du Net. Notre gouvernement prend, aux côtés de l’Allemagne et d’autres firmes européennes du Net, la tête d’une offensive anti-Google dont le but avoué est d’en finir avec la libre concurrence défendue par Bruxelles au profit d’un regain de protectionnisme. Une initiative qui pose la question des conséquences à terme de mesures protectionnistes susceptibles d’être imitées par nos voisins : ce n’est probablement pas en fermant les marchés étrangers aux entreprises européennes que l’on stimulera notre prospérité économique. Le protectionnisme, autrement dit, est une mesure défensive séduisante mais désastreuse qui ne traite pas la question, essentielle, de notre capacité à innover en Europe et à créer les champions internationaux de demain.
Troisième dossier qui constitue le fond de sauce rhétorique des discours émis par ceux qui nous gouvernent : la critique des banques et des banquiers. Désignées coupables universelles depuis la crise financière, les banques sont accusées non seulement de ne pas assez financer l’économie (ce qui est tout simplement faux : depuis 2009, 1000 milliards de crédits nouveaux ont été octroyés aux entreprises) mais encore de trop payer leurs dirigeants. Pourtant les rémunérations des dirigeants sont désormais approuvées en assemblée générale et liées à la performance.
« Puisque ces mystères nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs », disait Cocteau. Cette phrase semble devenue la devise d’une classe politique qui se rêve en Moïse guidant le peuple dans le désert, mais n’arrive au mieux qu’à être la mouche du coche. Et pourtant, l’Etat non seulement peut encore quelque chose mais est plus indispensable que jamais. Ce dont l’économie a besoin, c’est de régulations intelligentes, d’infrastructures performantes et de ressources humaines compétentes. Autant d’éléments qui correspondent à un rôle régalien de l’Etat que ce dernier, empêtré dans ses ambitions de stratège économique, assume mal. Le drame est que la création des conditions à la prospérité économique est une œuvre le plus souvent silencieuse dont les conséquences ne se traduisent que sur la durée. C’est hélas trop long et trop peu visible pour une classe politique en mal de preuves immédiates et tonitruantes d’effectivité. A l’inverse d’un chef d’entreprise qui vise le long terme, les politiques de profession sont trop axés sur le court terme du mandat et ainsi réduits à enchaîner les « coups ». La solution, sans doute, résiderait dans une plus grande diversité d’origine de notre personnel politique : si les cultures publiques et privées étaient mieux mêlées, avec en particulier plus de gens issus de la société civile, sans doute nos politique auraient-elles plus de réalisme et d’effectivité.
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